Être maire d'une ville est un privilège de mâle !
LES FEMMES ONT RAISON DE RECHIGNER À SE PRÉSENTER AUX MUNICIPALES
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Mediapart a épluché les investitures PS et UMP dans les 260 villes de plus de 30 000 habitants. Celles dont les résultats seront scrutés pour mesurer l’ampleur de la défaite de la gauche au pouvoir. Mais il y a déjà une certitude : malgré des listes strictement paritaires, les maires seront des hommes.
Mais où sommes les personnes intègres et sans reproche, en existent-ils ?
PAR LÉNAÏG BREDOUX ET ELLEN SALVI.
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C’est l’une des rares réformes qui ont fait l’unanimité à l’Assemblée nationale en 2013. Désormais, la parité s’applique aux élections municipales, avec stricte alternance femme/homme sur les listes, à partir des villes de plus de 1.000 habitants, contre 3.500 auparavant.
Mais le passage de la théorie à la pratique s’est avéré plus compliqué que prévu, suscitant une floraison d'articles, dans les derniers jours avant la date-butoir de dépôt des listes en préfecture, le 6 mars, sur les difficultés des candidats et maires sortants de petites villes à trouver des femmes qui acceptent de figurer sur leur liste.
Un simple coup d’oeil à la presse régionale montre que le problème a donné des sueurs froides un peu partout en France. «La loi de la parité fait office de couperet», se lamentait Sud Ouest, pendant que la Nouvelle République s’interrogeait: «Mais pourquoi les femmes désertent-elles les mairies?». «Le plus difficile c'est de trouver des femmes», confirmait le maire d'une commune ardéchoise à Europe 1.
Petites annonces
Des candidats en ont été réduits à lancer des appels dans les journaux locaux, comme la liste d’opposition Ploudaniel avec Vous dans Ouest-France, voire de bonnes vieilles petites annonces. A Fyé, commune de 1.020 habitants de la Sarthe, le candidat Gérard Granger expliquait à France Bleu qu’il n’a pas eu d’autre choix:
«J’ai téléphoné à une dizaine de personnes. C’est non. Parce qu’il faut aider les enfants le soir et qu’elles ont du travail.»
Le chef d’entreprise a donc fait paraître un court texte accompagné de son numéro de téléphone pour susciter des vocations.
Les femmes expliquent majoritairement leur refus par le manque de temps. «On est dans un schéma qui reste traditionnel et évolue malheureusement peu», regrette la députée socialiste de la Vienne Catherine Coutelle, présidente de la Délégation aux droits des femmes à l’Assemblée nationale. La dernière enquête Emploi du temps de l’Insee montre que les femmes consacrent en moyenne 88 minutes de plus que les hommes aux tâches domestiques.
«Il faut voir ponctuellement en fonction du contexte», tempère Mariette Sineau, directrice de recherche au CNRS et au Cevipof et auteure de Femmes et pouvoir sous la Ve République. «Il est moins dur de convaincre une jeune femme diplômée du supérieur, active professionnellement, qu’une femme au foyer qui n’a pas été à l’université et n’a fait qu’élever ses enfants.»
«Uniquement pour remplir les quotas»
Même si les candidats doivent tout mettre en oeuvre pour inciter des femmes à se présenter, le respect de la parité ne va pas encore de soi. Pour un maire sortant à la tête d’un conseil municipal majoritaire masculin, cela équivaut à rayer des hommes de son ancienne liste pour faire de la place aux femmes.
«J’aurais dû remercier des personnes qui me sont d’une grande utilité. Comment choisir? Mon équipe m’a toujours soutenu!», a objecté le maire de Wailly-Beaucamp, dans le Pas-de-Calais. Heureusement pour Michel Dupont, La Voix du Nord explique que la population retenue pour sa ville est de… 999 habitants. Soulagé, le maire pourra conserver sa liste masculine pendant au moins six années de plus.
A l’inverse, son voisin de Conchil-le-Temple, 1.087 habitants, n'a pas pu y couper. Fin février, le maire sortant réfléchissait à l'idée de proposer aux élus non reconduits... de laisser la place à leur compagne. Ce qui en dit long sur la considération parfois accordée aux femmes, uniquement là pour respecter la loi sur le papier.
«Si les femmes ont le sentiment qu’on vient les contacter uniquement pour remplir les quotas, franchement, je comprends qu’elles refusent», assène Marlène Coulomb-Gully, professeur en sciences de l’information et de la communication à l’Université Toulouse-2 et auteur de Présidente : le grand défi. «Pour peu qu’elles aient l’envie de s’engager et des ambitions, qu’est-ce qu’elles voient? Que les postes de décision restent aux mains des hommes. Leur refus est peut-être une manière d’anticiper le fait qu’on ne leur laisse pas de place.»
«Ségrégation verticale et horizontale»
Dans un pays où à peine 13,8% des mairies ne sont pas dirigées par un homme, la vie municipale n’est pas très séduisante pour les dames. «Je vois des femmes qui ont fait un mandat et qui ne se représentent plus», note Catherine Coutelle. «C’est la conséquence du mode de gestion de certains maires qui ne partagent pas le pouvoir. En tant qu’adjointe, elles n’ont servi à rien, n’ont été associées à rien. Elles se disent donc : “Autant que j’aille faire des choses utiles ailleurs”.»
Pour un maire comme Bertrand Delanoë, qui s’est joué des stéréotypes à Paris en déléguant la petite enfance et la culture à des hommes et la sécurité à une femme, combien d’équipes cantonnent les élues aux domaines traditionnellement féminins? Comme l’explique Marlèle Coulomb-Gully:
«Les femmes subissent une double ségrégation, verticale et horizontale. Verticale, car elles n’arrivent pas à monter et restent des adjointes. Horizontale, car elles restent cantonnées à des postes qui demeurent l’extension à la vie publique de leurs fonctions dans la vie privée: adjointes aux personnes âgées, à l’enfance, aux personnes âgées.»
Partout où la parité a déjà été mise en place, les hommes conservent les postes les plus influents. Si, selon les statistiques du Haut conseil à l’égalité, 48% des conseillers régionaux sont des femmes, seules trois occupent une présidence, Ségolène Royal en Poitou-Charentes, Marie-Marguerite Dufay en Franche-Comté et Josette Borel-Lincertin en Guadeloupe.
Dans les communes de plus de 3.500 habitants, où la parité s’appliquait déjà lors des dernières élections municipales, les femmes occupaient 48,5% des sièges de conseillers municipaux pour seulement 9,6% de maires. C’est ce que Catherine Coutelle appelle la différence entre parité «quantitative» et «qualitative».
Si la loi impose l’entrée d’élues dans une assemblée, elle n’influe pas sur la distribution des postes exécutifs. «Les hommes se retranchent dans tout ce qu’il est encore possible pour eux de détenir, à savoir le haut de la hiérarchie et les délégations les plus prestigieuses ou soi-disant dotées du plus grand pouvoir», analyse Mariette Sineau. «Ces inégalités ne peuvent pas disparaître d’un coup.»
Taillée par et pour les hommes
Le manque de candidates aux élections municipales semble aller à l’encontre de la volonté des Français. Un sondage réalisé pour Femme actuelle par l’Ifop montre qu’ils sont près de 70% à vouloir davantage de femmes maires. Les chiffres détaillés sont édifiants: 89% des Français considèrent qu’elles feraient des maires plus honnêtes, 82% plus à l’écoute et 72% plus au contact des réalités.
«L’éthos traditionnellement féminin est très en phase avec des mandats locaux», commente Marlène Coulomb-Gully. «Dans ces mandats, on met en avant la capacité de proximité, le fait d’être sur le terrain, d’être en empathie. Il s’agit de qualités que l’on attribue plutôt aux femmes. Et pourtant, la politique locale a une dimension de notabilité à laquelle rien dans l’histoire des femmes ne paraît correspondre. C’est un paradoxe.»
«La question n’est pas de savoir pourquoi on a du mal à convaincre des femmes, mais pourquoi est-ce que l’on trouve aussi facilement quinze hommes?», rebondit Catherine Coutelle. La politique locale reste taillée par et pour des hommes, et pas seulement parce que les femmes manquent de temps pour s’en occuper. Pour Marlène Coulomb-Gully, «il faut prendre en compte tout ce qui relève du combat politique, notamment la dimension rhétorique. Trop souvent, les femmes ne se sentent pas à l’aise dans ces domaines. Non pas parce qu’elles seraient d’une essence différente mais parce que sociologiquement, on ne met pas en avant les mêmes qualités chez les hommes que chez les femmes.»
Dans les années 1990, la sociologue néo-zélandaise Janet Holmes a montré dans Women’s talk in public context («La prise de parole des femmes en public») que les hommes monopolisent davantage la parole que les femmes dans un contexte public, surtout s’il s’agit d’une conversation liée à un enjeu de pouvoir.
Sans oublier que les femmes doivent aussi s’armer contre les stéréotypes sexistes, comme Catherine Coutelle a dû le faire au cours de ses quatre mandats locaux :
«Je me suis occupée de transports pendant douze ans, et c’était passionnant. On était que cinq femmes en France à avoir cette délégation. Mais quand j’ai eu cette responsabilité, on m’a demandé si je savais réparer un bus. Vous avez déjà vu un élu réparer un moteur de bus? On n’aurait jamais posé la question à un homme.»
Faire de la place... aux hommes
En attendant que les femmes prennent toute leur place dans la vie politique, cette application stricte de la parité risque-t-elle, dans l'intervalle, de limiter le choix des électeurs? Dans des petites villes où l’on déplore de plus en plus souvent l’absence de candidats, tous sexes confondus, l’obligation de présenter une liste paritaire a compliqué la donne encore un peu plus. Xavier Breton, député UMP de l’Ain, s’en était inquiété l’an dernier pendant la discussion de la réforme à l’Assemblée nationale:
«L’obligation de présenter des listes complètes aura une conséquence, c’est de multiplier le nombre de cas où il n’y aura qu’une seule liste, ce qui réduira le débat démocratique et découragera la participation des électeurs. Il y aura donc une plus forte abstention.»
Les électeurs des villes entre 1.000 et 3.500 habitants ne pourront plus se livrer à un sport national, le panachage, qui permettait de rayer certains noms pour les remplacer par d’autres. En première lecture, les députés socialistes avaient même abaissé le seuil à 500 habitants, avant d’en revenir à 1.000 sous la pression de leurs collègues du Sénat, de l’opposition ainsi que du gouvernement. «La parité, oui; la parité jusqu’à l’absurde, non!», s’était emporté le député radical de gauche Alain Tourret.
Dans la même veine que les inquiétudes du maire de Wailly-Beaucamp, qui craignait de devoir se séparer de ses conseillers municipaux sortants, l’autre argument récurrent face à la parité réside dans la peur de réserver les places d’hommes compétents à des femmes qui le seraient moins. Même l’un des socialistes les plus en pointe sur les questions de genre s’interroge:
«On touche aux limites de l’exercice. Imaginons une section socialiste composée de 100 hommes et 10 femmes. Au moment de constituer une liste, on ne prendra que 10 hommes alors que toutes les femmes y figureront automatiquement. Leur compétence risque donc d’être davantage mise en cause.»
Des arguments que balaye Catherine Coutelle, rappelant malicieusement que la parité joue désormais dans les deux sens. Dans deux villes de son département, Poitiers et Saint-Benoît, des listes trop féminines ont dû être remaniées pour faire de la place… aux hommes.
Jean-Baptiste Daoulas
C’est l’une des rares réformes qui ont fait l’unanimité à l’Assemblée nationale en 2013. Désormais, la parité s’applique aux élections municipales, avec stricte alternance femme/homme sur les listes, à partir des villes de plus de 1.000 habitants, contre 3.500 auparavant.
Mais le passage de la théorie à la pratique s’est avéré plus compliqué que prévu, suscitant une floraison d'articles, dans les derniers jours avant la date-butoir de dépôt des listes en préfecture, le 6 mars, sur les difficultés des candidats et maires sortants de petites villes à trouver des femmes qui acceptent de figurer sur leur liste.
Un simple coup d’oeil à la presse régionale montre que le problème a donné des sueurs froides un peu partout en France. «La loi de la parité fait office de couperet», se lamentait Sud Ouest, pendant que la Nouvelle République s’interrogeait: «Mais pourquoi les femmes désertent-elles les mairies?». «Le plus difficile c'est de trouver des femmes», confirmait le maire d'une commune ardéchoise à Europe 1.
Petites annonces
Des candidats en ont été réduits à lancer des appels dans les journaux locaux, comme la liste d’opposition Ploudaniel avec Vous dans Ouest-France, voire de bonnes vieilles petites annonces. A Fyé, commune de 1.020 habitants de la Sarthe, le candidat Gérard Granger expliquait à France Bleu qu’il n’a pas eu d’autre choix:
«J’ai téléphoné à une dizaine de personnes. C’est non. Parce qu’il faut aider les enfants le soir et qu’elles ont du travail.»
Le chef d’entreprise a donc fait paraître un court texte accompagné de son numéro de téléphone pour susciter des vocations.
Les femmes expliquent majoritairement leur refus par le manque de temps. «On est dans un schéma qui reste traditionnel et évolue malheureusement peu», regrette la députée socialiste de la Vienne Catherine Coutelle, présidente de la Délégation aux droits des femmes à l’Assemblée nationale. La dernière enquête Emploi du temps de l’Insee montre que les femmes consacrent en moyenne 88 minutes de plus que les hommes aux tâches domestiques.
«Il faut voir ponctuellement en fonction du contexte», tempère Mariette Sineau, directrice de recherche au CNRS et au Cevipof et auteure de Femmes et pouvoir sous la Ve République. «Il est moins dur de convaincre une jeune femme diplômée du supérieur, active professionnellement, qu’une femme au foyer qui n’a pas été à l’université et n’a fait qu’élever ses enfants.»
«Uniquement pour remplir les quotas»
Même si les candidats doivent tout mettre en oeuvre pour inciter des femmes à se présenter, le respect de la parité ne va pas encore de soi. Pour un maire sortant à la tête d’un conseil municipal majoritaire masculin, cela équivaut à rayer des hommes de son ancienne liste pour faire de la place aux femmes.
«J’aurais dû remercier des personnes qui me sont d’une grande utilité. Comment choisir? Mon équipe m’a toujours soutenu!», a objecté le maire de Wailly-Beaucamp, dans le Pas-de-Calais. Heureusement pour Michel Dupont, La Voix du Nord explique que la population retenue pour sa ville est de… 999 habitants. Soulagé, le maire pourra conserver sa liste masculine pendant au moins six années de plus.
A l’inverse, son voisin de Conchil-le-Temple, 1.087 habitants, n'a pas pu y couper. Fin février, le maire sortant réfléchissait à l'idée de proposer aux élus non reconduits... de laisser la place à leur compagne. Ce qui en dit long sur la considération parfois accordée aux femmes, uniquement là pour respecter la loi sur le papier.
«Si les femmes ont le sentiment qu’on vient les contacter uniquement pour remplir les quotas, franchement, je comprends qu’elles refusent», assène Marlène Coulomb-Gully, professeur en sciences de l’information et de la communication à l’Université Toulouse-2 et auteur de Présidente : le grand défi. «Pour peu qu’elles aient l’envie de s’engager et des ambitions, qu’est-ce qu’elles voient? Que les postes de décision restent aux mains des hommes. Leur refus est peut-être une manière d’anticiper le fait qu’on ne leur laisse pas de place.»
«Ségrégation verticale et horizontale»
Dans un pays où à peine 13,8% des mairies ne sont pas dirigées par un homme, la vie municipale n’est pas très séduisante pour les dames. «Je vois des femmes qui ont fait un mandat et qui ne se représentent plus», note Catherine Coutelle. «C’est la conséquence du mode de gestion de certains maires qui ne partagent pas le pouvoir. En tant qu’adjointe, elles n’ont servi à rien, n’ont été associées à rien. Elles se disent donc : “Autant que j’aille faire des choses utiles ailleurs”.»
Pour un maire comme Bertrand Delanoë, qui s’est joué des stéréotypes à Paris en déléguant la petite enfance et la culture à des hommes et la sécurité à une femme, combien d’équipes cantonnent les élues aux domaines traditionnellement féminins? Comme l’explique Marlèle Coulomb-Gully:
«Les femmes subissent une double ségrégation, verticale et horizontale. Verticale, car elles n’arrivent pas à monter et restent des adjointes. Horizontale, car elles restent cantonnées à des postes qui demeurent l’extension à la vie publique de leurs fonctions dans la vie privée: adjointes aux personnes âgées, à l’enfance, aux personnes âgées.»
Partout où la parité a déjà été mise en place, les hommes conservent les postes les plus influents. Si, selon les statistiques du Haut conseil à l’égalité, 48% des conseillers régionaux sont des femmes, seules trois occupent une présidence, Ségolène Royal en Poitou-Charentes, Marie-Marguerite Dufay en Franche-Comté et Josette Borel-Lincertin en Guadeloupe.
Dans les communes de plus de 3.500 habitants, où la parité s’appliquait déjà lors des dernières élections municipales, les femmes occupaient 48,5% des sièges de conseillers municipaux pour seulement 9,6% de maires. C’est ce que Catherine Coutelle appelle la différence entre parité «quantitative» et «qualitative».
Si la loi impose l’entrée d’élues dans une assemblée, elle n’influe pas sur la distribution des postes exécutifs. «Les hommes se retranchent dans tout ce qu’il est encore possible pour eux de détenir, à savoir le haut de la hiérarchie et les délégations les plus prestigieuses ou soi-disant dotées du plus grand pouvoir», analyse Mariette Sineau. «Ces inégalités ne peuvent pas disparaître d’un coup.»
Taillée par et pour les hommes
Le manque de candidates aux élections municipales semble aller à l’encontre de la volonté des Français. Un sondage réalisé pour Femme actuelle par l’Ifop montre qu’ils sont près de 70% à vouloir davantage de femmes maires. Les chiffres détaillés sont édifiants: 89% des Français considèrent qu’elles feraient des maires plus honnêtes, 82% plus à l’écoute et 72% plus au contact des réalités.
«L’éthos traditionnellement féminin est très en phase avec des mandats locaux», commente Marlène Coulomb-Gully. «Dans ces mandats, on met en avant la capacité de proximité, le fait d’être sur le terrain, d’être en empathie. Il s’agit de qualités que l’on attribue plutôt aux femmes. Et pourtant, la politique locale a une dimension de notabilité à laquelle rien dans l’histoire des femmes ne paraît correspondre. C’est un paradoxe.»
«La question n’est pas de savoir pourquoi on a du mal à convaincre des femmes, mais pourquoi est-ce que l’on trouve aussi facilement quinze hommes?», rebondit Catherine Coutelle. La politique locale reste taillée par et pour des hommes, et pas seulement parce que les femmes manquent de temps pour s’en occuper. Pour Marlène Coulomb-Gully, «il faut prendre en compte tout ce qui relève du combat politique, notamment la dimension rhétorique. Trop souvent, les femmes ne se sentent pas à l’aise dans ces domaines. Non pas parce qu’elles seraient d’une essence différente mais parce que sociologiquement, on ne met pas en avant les mêmes qualités chez les hommes que chez les femmes.»
Dans les années 1990, la sociologue néo-zélandaise Janet Holmes a montré dans Women’s talk in public context («La prise de parole des femmes en public») que les hommes monopolisent davantage la parole que les femmes dans un contexte public, surtout s’il s’agit d’une conversation liée à un enjeu de pouvoir.
Sans oublier que les femmes doivent aussi s’armer contre les stéréotypes sexistes, comme Catherine Coutelle a dû le faire au cours de ses quatre mandats locaux :
«Je me suis occupée de transports pendant douze ans, et c’était passionnant. On était que cinq femmes en France à avoir cette délégation. Mais quand j’ai eu cette responsabilité, on m’a demandé si je savais réparer un bus. Vous avez déjà vu un élu réparer un moteur de bus? On n’aurait jamais posé la question à un homme.»
Faire de la place... aux hommes
En attendant que les femmes prennent toute leur place dans la vie politique, cette application stricte de la parité risque-t-elle, dans l'intervalle, de limiter le choix des électeurs? Dans des petites villes où l’on déplore de plus en plus souvent l’absence de candidats, tous sexes confondus, l’obligation de présenter une liste paritaire a compliqué la donne encore un peu plus. Xavier Breton, député UMP de l’Ain, s’en était inquiété l’an dernier pendant la discussion de la réforme à l’Assemblée nationale:
«L’obligation de présenter des listes complètes aura une conséquence, c’est de multiplier le nombre de cas où il n’y aura qu’une seule liste, ce qui réduira le débat démocratique et découragera la participation des électeurs. Il y aura donc une plus forte abstention.»
Les électeurs des villes entre 1.000 et 3.500 habitants ne pourront plus se livrer à un sport national, le panachage, qui permettait de rayer certains noms pour les remplacer par d’autres. En première lecture, les députés socialistes avaient même abaissé le seuil à 500 habitants, avant d’en revenir à 1.000 sous la pression de leurs collègues du Sénat, de l’opposition ainsi que du gouvernement. «La parité, oui; la parité jusqu’à l’absurde, non!», s’était emporté le député radical de gauche Alain Tourret.
Dans la même veine que les inquiétudes du maire de Wailly-Beaucamp, qui craignait de devoir se séparer de ses conseillers municipaux sortants, l’autre argument récurrent face à la parité réside dans la peur de réserver les places d’hommes compétents à des femmes qui le seraient moins. Même l’un des socialistes les plus en pointe sur les questions de genre s’interroge:
«On touche aux limites de l’exercice. Imaginons une section socialiste composée de 100 hommes et 10 femmes. Au moment de constituer une liste, on ne prendra que 10 hommes alors que toutes les femmes y figureront automatiquement. Leur compétence risque donc d’être davantage mise en cause.»
Des arguments que balaye Catherine Coutelle, rappelant malicieusement que la parité joue désormais dans les deux sens. Dans deux villes de son département, Poitiers et Saint-Benoît, des listes trop féminines ont dû être remaniées pour faire de la place… aux hommes.
Jean-Baptiste Daoulas
La pintade rose