«La fin de la vie des personnes âgées pourrait devenir un véritable naufrage social.» La conclusion du rapport* de l'Observatoire national de la fin de vie (ONFV) claque comme un avertissement. Mais cette étude, remise mardi soir à la ministre de la Santé et à la ministre en charge de l'Autonomie, est avant tout un constat, celui dressé par les personnes âgées en maison de retraite et leurs proches dans deux études. Leurs paroles, poignantes, laissent entrevoir un fragment de la fin de l'existence des 90.000 aînés qui meurent chaque année en maison de retraite. Loin du tumulte médiatique des affaires d'euthanasie.
«On est devenu pas grand-chose: une table, un pot. On n'est plus vivant quoi, on est un morceau de bois», lâche une vieille dame de 97 ans, apparemment touchée par la dépression, comme le sont 40% des personnes âgées en institution. «Ça ne m'effraie pas de mourir, au contraire: je serai débarrassée de ce que je vis, je débarrasserai les miens aussi. C'est gai pour personne de venir ici», avance une autre résidente, soucieuse de ne pas être un poids pour ses proches. Avoir le sentiment d'être inutile: la première mort des personnes âgées est «une mort par exclusion de la “vraie vie”, celle des gens qui bougent, qui vont vite, qui travaillent», souligne l'étude. Cette angoisse est renforcée par le «non-choix» de l'entrée en institution, «nécessité qui s'est imposée» aux proches faute de ne pas pouvoir poursuivre une prise en charge à domicile, trop coûteuse ou ingérable. Les trois quarts des personnes âgées en Ehpad (établissement d'hébergement pour personnes âgées dépendantes) n'ont pas choisi d'y vivre. «Elle m'avait dit: “J'aimerais mieux me jeter du 7e étage que de venir en maison de retraite”», confie un enfant au sujet de sa mère. «La maison de retraite a une image vraiment… c'est plus que la fin de vie, c'est “on se débarrasse des gens”. C'est cela que je ressens, c'est ce que ma famille m'a fait ressentir: je me suis débarrassée de ma mère», résume un autre, déchiré entre un sentiment de culpabilité et le besoin de préserver sa vie personnelle.
Alors que les maisons de retraite accueillent 42 % de patients atteints d'une maladie de type Alzheimer, les personnes âgées se retrouvent également confrontées au «miroir de la démence», note le rapport. «Ça me ferait peur de perdre la tête, ne plus savoir ce que je dis: pourvu que je sois morte avant», s'inquiète une nonagénaire. «Je m'enferme dans ma chambre pour ne pas l'entendre: c'est comme des loups… C'est intenable quand il hurle», lâche vieille dame de 91 ans évoquant son voisin de chambre.
Un «miroir de la démence»
Paradoxalement, la question de la fin de vie semble taboue. «Un sujet inexistant, une question qui ne se pose pas et même la source d'un non-dit», relève le rapport. Dans plus de la moitié des situations (53 %), les résidents indiquent ne pas évoquer la question de leur devenir avec leurs proches tandis que 12 % en parlent «rarement», selon une autre enquête de l'ONFV. «Oh, vous savez, on en a parlé une fois… Ma fille dit: “Il ne faut pas parler de la mort, on vit”», raconte une octogénaire. Pourtant, plus que la perspective de la fin, c'est l'idée du «lent» et du «mal-mourir», avec son cortège de souffrances et de traitements qui effraie. «J'ai entendu mon voisin geindre longtemps avant de mourir: à quoi ça sert de vivre un mois de plus ou de moins?», interroge un monsieur de 89 ans.
Ce silence laisse peu de place aux personnes âgées pour exprimer leurs dernières volontés. Seuls 5 % de résidents d'Ehpad rédigent des directives anticipées, cet écrit dans lequel le patient indique ses souhaits sur sa fin de vie au cas où il serait un jour hors d'état de le faire. Un tiers d'entre eux ont désigné une personne de confiance. Pourtant, tous savent ce qu'ils veulent ou veulent éviter, comme les transferts de service en service ou la mort dans le couloir d'un service d'urgences par exemple. «Je suis allée 3 fois à l'hôpital. Ils ne savaient pas ce que j'avais mais on m'a fait 15 à 20 prises de sang, scanner, fibro, coloscopie… J'ai dit “j'en ai assez, je veux pas qu'on me tripote comme ça, je ne veux pas de ça”», détaille une résidente de 91 ans.
«Je ne veux pas que l'on rallonge ma vie en me mettant de l'oxygène. Non. Je veux qu'on me laisse mourir tranquille», lance une septuagénaire. Toutes les 40 minutes, une personne âgée meurt aux urgences, 13 000 chaque année, déplore l'observatoire. Ces transferts, pas toujours souhaités, souvent injustifiés au plan médical, pourraient être évités, plaide son rapport. «La simple présence d'une infirmière de nuit en Ehpad permettrait d'éviter 18 000 de ces hospitalisations par an», selon l'ONFV. Une mesure parmi beaucoup d'autres qui manquent «à la construction d'une véritable politique de fin de vie en France».
* L'étude qualitative a été menée auprès de 24 résidents d'Ehpad dans cinq établissements et auprès de 35 proches de résidents des mêmes établissements entre avril et septembre 2013.
Info de la pintade rose OW