A l’orée de la forêt de chênes qui semble se refermer sur la voiture, on finit par se rassurer : le gigantesque demi-cylindre d’alu à la dérive sur son océan de vignes d’automne est assez incongru pour que l’on ne se soit pas trompé de chemin, en suivant le discret fléchage depuis Aix-en-Provence. Les sous-bois implacables finissent de desserrer leur étreinte, place à une immensité de ceps aux feuillages jaunissants. C’est ainsi que l’on pénètre dans le domaine du château La Coste, soupçonnant qu’il ne s’y manigance pas que de la fermentation viticole pure, parfois dure, du cru.
A tribord du chemin caillouteux, un bâtiment fuselé d’aluminium rappelle vaguement les hangars du minimaliste monumental Donald Judd à Marfa (Texas). Il ne s’agit en fait «que» de la cuverie du domaine. Mais elle a été conçue par Jean Nouvel, «starchitecte» tellement hégémonique qu’il a même réussi à poser un grappin sur ce coin isolé de Provence, à vingt minutes au nord d’Aix, en bordure du village du Puy-Sainte-Réparade (Bouches-du-Rhône). Emblématique de ce qui se trame à La Coste depuis dix ans, la cuverie fut en 2008 la première installation artistique de commande à pousser au milieu de ces 200 hectares (dont 130 de vignes), domaine où l’on mélange à égales proportions vin, art et architecture. C’est d’ailleurs la parfaite «isocélité» de ce triangle qui fait l’originalité de La Coste : le coup du «chai design» étant aussi vieux que Lafite Rothschild (qui fit appel à l’architecte espagnol Ricardo Bofill pour que 2 200 de ses barriques vieillissent en toute harmonie visuelle dès 1973), le domaine provençal ne pouvait s’en contenter pour exister autrement que par ses flacons.
Démiurge.Justement, privilégier au détriment des deux autres l’un des trois piliers de la sainte trinité vin, art et architecture, n’a jamais été à l’ordre du jour pour le propriétaire des lieux, l’énigmatique Patrick «Paddy» McKillen, quand il rachète La Coste en 2004. «C’est un passionné de beau et de bon», résume son maître de chai, le très en vue Matthieu Cosse (également vigneron chez Cosse-Maisonneuve, à Cahors), œnologue format rugby appelé à la rescousse en 2006 pour restaurer l’expression d’un terroir. Et de s’enflammer : «Patrick construit la Provence de demain. C’est un visionnaire.» Visionnaire mais invisible : collectionneur d’art ayant réussi «dans l’immobilier», précise vaguement le directeur du centre d’art, l’érudit Daniel Kennedy qu’il envoie pour le représenter, l’Irlandais est aussi aisé que discret.