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21 Aug

L'art reste-il un bastion masculin ??? [][][]

Publié par La pintade rose  - Catégories :  #Femmes Femmes...

 
FEMMES ARTISTES, OMISSION PLUS POSSIBLE
 

Après des siècles passés dans l’ombre ou confinées à certaines disciplines, des créatrices gagnent enfin la reconnaissance des musées et galeries. Une visibilité acquise de haute lutte, malgré des réflexes conservateurs, notamment à l’université.

Un parcours dans l’histoire de l’art à travers ses grandes figures féminines, dont certaines injustement oubliées.

De la Renaissance au début du XXe siècle et de Rome à Paris en passant par Londres, les artistes femmes ont lutté pendant des siècles pour accéder à la reconnaissance, entre petites avancées et longs moments d’exclusion. Il fallait la force d’une Artemisia Gentileschi pour se hisser dans le cercle des grandes peintres de son temps, le talent d’une Angelica Kauffmann pour séduire la cour d’Angleterre et devenir une des fondatrices de la Royal Academy of Arts ou la ténacité d’une Suzanne Valadon pour changer nos représentations du corps féminin. Par leur talent et leur courage, ces femmes ont souvent gagné l’estime de leurs pairs. Mais l’histoire officielle, considérant l’art au féminin comme mineur, les a largement oubliées. Au fil des tableaux, des styles et des époques, un film sur des femmes exceptionnelles, auxquelles les historiens d'art sont en train de redonner la place qu'elles méritent.

À la question Voyez-vous l’art comme un monde d’homme ? Louise Bourgeois répond Oui, c’est un monde où les hommes et les femmes essaient de satisfaire le pouvoir des hommes1. C’est ainsi qu’elle fait le constat du peu de présence et de reconnaissance de la femme dans l’histoire de l’art. C’est ainsi qu’elle fait le constat du peu de présence et de reconnaissance de la femme dans l’histoire de l’art. Ce n’est que depuis les années soixante-dix que des historiennes de l’art, comme Linda Nochlin, attribuent à la femme sa juste place au sein du monde de l’art. Elles tentent de poser les conditions de ce qui pourrait être un art féminin. La question que Nochlin avait lancée en 1971 dans la revue Artnews suscita une polémique au sein de l’histoire de l’art : « Pourquoi n’y a-t-il pas eu de grandes artistes femmes ? ». Elle s’était intéressée à la création artistique féminine cherchant à comprendre pourquoi il y avait si peu de femmes artistes. Se demandant si un « génie féminin » pouvait exister. Aurait-il été exclu jusqu’à aujourd’hui ?2 Nous faut-il poser l’hypothèse que la femme est plus encline à créer la vie plutôt qu’une œuvre d’art, au contraire de l’homme ? Nous allons tenter d’esquisser quelques pistes autour de la création féminine, ses enjeux et ses prérequis. Comme, par exemple, pourquoi ses qualités artistiques n’ont pas été admises et reconnues. Pour cela, nous nous appuierons sur la figure de deux femmes artistes dont l’art fut reconnu tardivement. Il s’agit de Camille Claudel (1864-1943) et Louise Bourgeois (1911-2010). Nous parcourons leur éclosion artistique à partir de balises biographiques, éventuellement connectées au discours psychanalytique.

2En effet, les œuvres de Camille Claudel et Louise Bourgeois s’articulent autour de quatre rapports pouvant relevés assez aisément de la préoccu­pation psychanalytique : au père, à la mère, à l’enfant et au corps. Il semble que ces rapports-là influencèrent beaucoup l’œuvre de ces deux artistes. 

  • 3 Cette entente est décrite en tant que telle dans les livres et films qui lui sont consacrés.
  • 4 Hélène Pinet et Reine-Marie Paris, Camille Claudel, le génie est comme un miroir, 2003, éd. Gallima (...)
  • 5 Ibidem.

3S’il diverge chez les deux artistes, il n’en demeure pas moins proéminant. Camille Claudel et son père, qui l’a soutenue jusqu’au bout dans ses démar­ches artistiques, eurent une complicité « merveilleuse »3. C’est à lui qu’elle doit sa rencontre avec Auguste Rodin. Il fut le premier à admirer son œuvre et fit déménager sa famille à Paris pour que sa fille puisse s’exprimer plei­ne­ment et rencontrer les personnes du milieu de l’art. Il l’entretint d’ailleurs presque toute sa vie. Avant qu’elle ne se fisse interner, Camille Claudel avait néanmoins rompu avec sa famille et ne se rendit pas à l’enterrement de son père4. Depuis sa rupture avec Rodin (1892), elle n’était plus la même, elle devint paranoïaque et voyait des complots partout autour d’elle. C’est pour cette raison que le 10 mars 1913, soit tant de temps après la mort de son père, sa mère et son frère la firent internés dans la maison de santé de Ville-Evrard5. Ce moment marque la fin de toute création chez Camille Claudel. Devons-nous le rapporter à la disparition de son père, à l’internement où se retrouver enfermée, privée de liberté comme elle le dit si bien dans une de ses lettres, adressée à son médecin :

  • 6 Lettre de Camille Claudel consultée sur le site Rue89 dans la rubrique la lettre du Dimanche le 13  (...)

On me reproche (ô crime épouvantable) d’avoir vécu seule, de passer ma vie avec des chats, d’avoir la manie de la persécution ! C’est sur la foi des ces accusations que je suis incarcérée depuis cinq ans et demi comme une criminelle, privée de liberté, privée de nourriture, de feu et des plus élémentaires commodités6.

4Il est clair que pour Camille Claudel, créer était un acte de liberté et, privée de cette liberté, l’envie de créer a disparu elle aussi peu à peu. La solitude devint alors sa seule alliée. C’est cette solitude que décrit très bien le film que lui a consacré Bruno Dumont en 2013, où le rôle de Camille Claudel est interprété par Juliette Binoche. Elle avait sans doute besoin d’une certaine reconnaissance artistique. Certes, son talent et son génie furent reconnus par certains tel Octave Mirabeau, mais cela ne fut guère suffisant ; elle n’entrera dans le panthéon de la sculpture que dans les années quatre-vingt du vingtième siècle. Après que lui furent consacrées, des biographies et films de Nyutten et Dumont.

5En ce qui concerne Louise Bourgeois, son rapport au père fut plus com­plexe. Dès son enfance, Louise Bourgeois n’a pas une bonne image du père. Elle le voit comme une personne adultère, faisant du mal à sa mère qu’elle cherche à protéger. En effet, lorsqu’elle était enfant, Louise Bourgeois avait une jeune professeure qui lui apprenait ainsi qu’à son frère et sa sœur, l’anglais. Cette dernière devint la maîtresse de son père. Trouvant cette situation terriblement humiliante pour sa mère, elle fit un rejet total de la figure paternelle dont elle en fera une œuvre plusieurs années plus tard qu’elle baptisa La destruction du père (1974) (1).

6Cette œuvre qui constitue l’une de ses pièces majeures, met en scène un repas familial qui se transforme en un repas cannibale. En effet, les enfants, ainsi que la mère (Louise Bourgeois et sa famille) se trouvant autour de la table, prennent leur père, le mettent sur la table et commencent à le dévorer7. Selon Louise Bourgeois, c’est une façon d’exorciser sa peur et d’anéantir son passé pour reconstruire son avenir :

  • 8 « Chaque jour tu dois abandonner ton passé ou l’accepter et si tu ne peux pas l’accepter, tu devien (...)

Every day you have to abandon your past or accept it and then, if you cannot accept it, you become a sculptor8.

  • 9 Sigmund Freud, Traitement psychique, dans Résultats, idées, problèmes, I, 4e édition, Paris, PUF, 1 (...)

7Au-delà de cette piste autobiographique que nous livre Louise Bourgeois, il serait intéressant de se pencher sur l’analyse freudienne de l’inconscient. Freud explique les différents modes de fonctionnement et de manifestation de l’inconscient. La psychanalyse signifie de manière littérale « analyse de l’âme »9 et ses concepts sont fréquemment utilisés dans ce que Freud nomme la psychopathologie de la vie quotidienne c’est le cas du « lapsus révé­la­teur ». Une vulgate s’est, depuis, généralisée où des expressions qui renvoient aux non-dits échappant à notre conscience se généralisent comme « il fait son oedipe ». Ce qui signifie qu’une personne est soumise à une telle force qu’elle n’a pas conscience de ce qu’elle fait. C’est le cas de Louise Bourgeois qui, par ses souvenirs latents et enfouis dans sa mémoire, traduit dans son art son rapport au père, son « oedipe ». Seulement, chez elle, cela ne se manifeste plus par un lapsus, mais par une maîtrise de l’expression artistique. Ce qui est voulu et exprimé par l’œuvre permet d’exorciser son passé et ses peurs. Ce qui pourrait nous conduire à penser qu’il s’agit d’une sorte de thérapie artistique. Tout comme Louise Bourgeois, Camille Claudel avait les mêmes besoins de créer. Créer signifiait être vivant, vivre pour son art. C’est ce que nous pouvons constater lorsque nous regardons les films et documentaires dédiés à ces deux artistes. Louise Bourgeois finit par se réconcilier avec son père, mais cela n’arriva que sur le tard. 

8La Destruction du père clôt ce qui est dédié à son père. Mais peu à peu, elle réalisa des esquisses, puis enfin des sculptures d’araignée qu’elle baptise alors Maman. À travers cette figure, Louise Bourgeois oriente le rapport vers sa propre mère. Que nous soyons sous le signe de l’araignée pourrait nous faire croire qu’il s’agit d’un rapport peu chaleureux, mais en faut, il en est tout autrement. Pour l’artiste, l’araignée est une figure rassurante et aimante :

  • 10 « L’amie parce que ma meilleure amie était ma mère et elle était délibérée, intelligente, patien­te (...)

The Friend (l’araignée – pourquoi l’araignée ?) parce que my best friend was my mother and she was deliberate, clever, patient, soothing, reasonable, dainty, subtle, indispensable, neat, and useful as an araignée. She could also defend herserlf, and me, by refusing to answer « stupid » inquisitive embarassing personal questions10.

9Louise Bourgeois associe sa mère à l’araignée qui, dans son métier de tisseuse, accomplissait les mêmes gestes. Celle-ci, en effet, dirigeait un atelier de tapisserie à Choisy-le-Roi où est née l’artiste. L’araignée est une figure dont les caractéristiques positives se retrouvent aussi chez sa mère. Cette mère était sa meilleure amie et elle en aura toujours une image positive. Ceci contraste fortement avec l’image qu’elle a de son père et qui se retrouve dans son œuvre. 

10Chez Camille Claudel, nous ne retrouvons pas cet aspect familial dans son œuvre. En effet, il n’y a pas de sculptures de son père ou de sa mère. Nous savons juste, de par sa biographie, quel genre de rapport elle a entretenu avec ses parents. Nous avons vu qu’avec son père, l’entente était au beau fixe ; mais qu’en est-il de sa mère ? Il semblerait, d’après les écrits et les films qui ont été produits, que sa mère ne soutenait pas Camille dans sa démarche artistique. Elle en aurait d’ailleurs voulu à sa fille d’avoir convaincu son mari de déménager à Paris et de vivre à leur crochet quasiment toute sa vie d’artiste. Nous pourrions donc penser que Camille Claudel fait abstraction de cela lorsqu’elle produit, puisque c’est dans ces moments-là, où elle se retrouve seule, qu’elle n’a pas besoin de penser à cette relation peu fructueuse. Cela dit, ce n’est pas manifeste que ça n’a pas de présence. D’ailleurs, depuis le jour où elle se fit interner, sa mère n’alla jamais lui rendre visite. C’était la fin de cette relation qui, elle aussi, marque la fin de son œuvre. 

  • 11 Hélène Pinet et Reine-Marie Paris, Camille Claudel, le génie est comme un miroir, 2003, éd. Gallima (...)

11Camille Claudel n’a pas eu d’enfant, non pas parce qu’elle n’en voulut pas, mais parce qu’au moment où elle est tombée enceinte, sa rupture avec Rodin était imminente. En 1892, Rodin ne peut se décider à choisir entre Rose, sa compagne et mère de ses enfants, et Camille. Elle décida alors de s’éloigner de lui en prenant un appartement sur l’avenue de la Bourdonnais et commença alors une vie solitaire. À partir du mois de mai de la même année, elle se rendit en Touraine, plus exactement au château de l’Islette, où elle et Rodin avaient l’habitude de passer leurs jours de repos. Elle venait alors d’avorter et cet isolement lui aurait permis de se remettre de cette épreuve. Cet épisode fut immortalisé par Rodin et ses sculptures L’Adieu et La Convalescence11. Durant les mois qu’elle passa en Touraine, Claudel se mit à l’ouvrage en réalisant un buste d’enfant. Il s’agit ici de la petite-fille des propriétaires du château. Elle l’intitula La petite châtelaine (2).

 

12Sans doute un encore moyen pour elle d’oublier cette tragédie. À ce moment-là personne ne vint lui rendre visite. Rodin lui fit porter de l’argent pour vivre par un ami du nom de Bigand-Kaire. Sa famille ne lui apporta aucun réconfort, car pour elle, à son âge, elle aurait dû être mariée. Une phase d’au­tant plus difficile pour Camille qui produit alors pour oublier son chagrin. Ici, la perspective de créer pour se libérer de son passé est mise en évidence. Un événement douloureux du passé fut abandonné par le biais de la sculpture. 

13Le cas de Louise Bourgeois est autre, car elle fut mère de trois enfants dont un adopté. Elle connut le statut de mère et, fut, donc créatrice de la vie. C’est ce qui est en partie constitutif du cheminement artistique féminin : elles sont non seulement créatrices dans le domaine de l’art, mais aussi pro­créa­trices. Pouvons-nous dire que la féminité dans l’art est liée à la manière de créer ? Il est fort probable que cela soit une possibilité car si nous parcourons le travail des artistes masculins, nous pouvons constater qu’il n’y a pas de réfé­rence à leur progéniture comme nous le trouvons dans l’œuvre des femmes. Le rapport procréation/création est-il la trame nécessaire à une lecture du travail artistique de la femme ? C’est, en effet, un des facteurs discriminant propices à l’identification de l’œuvre féminine ou masculine. 

14Un autre aspect peut encore être évoqué à ce stade. Il s’agit du rapport au corps. En effet, si nous prenons l’exemple de ces deux artistes, le rapport au corps est présent et prédominant dans chacune de leurs œuvres. Camille Claudel est réputée pour ses sculptures de bustes. Cependant, l’une des œuvres majeures de son répertoire met en scène le corps dans son entier.

15Il s’agit de L’Abandon (Sacountala). Cette pièce est généralement perçue comme l’annonce de l’entrée de Camille Claudel dans un style et un langage propre.

  • 12 12Hélène Pinet et Reine-Marie Paris, Camille Claudel, le génie est comme un miroir, 2003, éd. Galli (...)

« Un parfait équilibre plastique, un sens aigu de la composition et de la souplesse du modelé12 ».

  • 13 Sacountala renvoit à une pièce du poète hindou Kalidasa, 1867.

16Ce style, qui est donc propre à Camille Claudel, serait une manière pure de représenter les formes. C’est une œuvre qui traduit sans conteste sa rupture avec Rodin. Elle peut être lue comme la trace nostalgique créée par l’abandon du souvenir de leurs corps enlacés devenus, tout à coup, étrangers l’un à l’autre. Le corps de l’homme semble s’abandonner à celui de la femme qui a approché son visage du sien et qui semble lui donner un baiser, peut-être le dernier. La position donnée à la femme tend à nous faire penser qu’elle essaie de le retenir, comme le montrerait le bras qui entoure la taille de l’homme. Mais cette sculpture peut être aussi interprétée d’une autre façon, l’abandon peut aussi être le fait de s’abandonner l’un à l’autre sans se soucier du monde environnant et de ce qui viendra ensuite. Une belle manière d’immortaliser le ou les moments vécus avec l’être aimé. Encore une fois, un événement du passé prend forme par le biais de la sculpture et se transmue dans une forme mythique que le terme védique Sacountala souligne13.

  • 14 Traduction de Marie-Laure Bernadac et Hnas-Ulrich Obrist, Louise Bourgeois, Distruzione del padre,  (...)

17Quant à Louise Bourgeois, son rapport au corps est plus lié à l’aspect sexuel qu’au romantisme du corps nu de Camille Claudel. Elle le disait elle-même : dans mon travail il y a toujours des allusions sexuelles. Quelques fois, je m’intéresse aux formes féminines (…) mais quelques fois les images se confondent – seins falliques, masculins et féminins, actifs et passifs14. C’est le cas de sa sculpture emblématique la Femme couteau (3).

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En effet, cette œuvre est le signe de la dualité que nous retrouvons chez la femme : le desctructif et le séductif. C’est ainsi que Louise Bourgeois se de­mande : pourquoi les femmes deviennent femmes-couteaux ? Elles ne le sont pas dès la naissance. Elles le deviennent par peur15. Louise Bourgeois envisage le devenir femme modelé par l’histoire et par un de ses moteurs qui serait la peur. La sculpture représente la femme qui, de sa position défensive, se trans­forme en lame. La peur la mute en arme, en cette arme qui suscite sa peur. Pour se défendre elle s’identifie à l’appareil génital masculin qu’elle peut per­cevoir comme menaçant. Louise Bourgeois confia à la revue New York en février 1974, que la sexualité, quand elle était jeune, était un sujet tabou car considéré comme dangereux. Pour elle, c’était important d’en parler dès lors que c’est une chose naturelle. Elle expliqua aussi : quand j’étais à l’école des Beaux-Arts à Paris, nous avions un modèle nu. Un jour, alors qu’il regardait autour de lui, il vit une étudiante et eut une érection. J’en fus choquée – et puis je pensai : comme cela est extraordinaire de révéler sa propre vulnérabilité, s’exposer ainsi publiquement ! Nous sommes tous vulnérable, nous sommes tous masculin-féminin16. Louise Bourgeois expose ici et ainsi l’ambivalence masculin-féminin qui habite chacun de nous et qui voit la vulnérabilité se déplacer du fémini au masculin. Que Louise Bourgeois utilise un vocabulaire explicitement sexuel lui permet de toucher le public et lui faire sentir sa propre vulérabilité. À partir de ces exemples, nous voyons le rapport libéré qu’entretient Louise Bourgeois avec les corps, qu’il soit fémini ou masculin. La manière qu’elle a de s’exprimer librement sur un sujet qui était souvent considéré comme tabou, l’a fait participer à la levée de l’interdit porté sur le corps. C’est ainsi qu’elle participe, par son travail, à la « révolution sexuelle »17 de l’époque. 

19Cette rapide mise en relation des œuvres et parcours de Camille Claudel et de Louise Bourgeois, nous pouvons remarquer des conrvengeances. De par un travail classique chez Camille Caudel et de par un travail répondant aux exigences de l’art contemporain chez Louise Bourgeois, les quatre ana­lo­gies ont été esquissées afin d’ouvrir une certaine perspective sur l’art féminin. Sous la forme d’hypothèse autour de ce qui serait un art féminin ces quatre analogies pourraient bien être à la source de l’oeuvre de ces deux créatrices et par, derrière elles, sur les productions artistiques dérivées. C’est ainsi qu’elles ont contribués à marquer leurs empreintes dans le monde de l’art en tant qu’artistes, mais aussi en tant que femmes. Si l’art est un phénomène, l’axe ouvert par Camille Claudel et Louise Bourgeois pourrait caractérisé la féminisation de ce phénomène.

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Un malentendu persiste. Avant le XXe siècle, il n’y avait pas de femmes artistes, ou si peu. Les musées sont vides de leurs œuvres car elles ne créaient pas ! De fait, on pourrait les compter sur les doigts d’une main, celles nées avant 1900 dont on a retenu le nom : Artemisia Gentileschi, Elisabeth Vigée Le Brun, Rosa Bonheur, Camille Claudel, Berthe Morisot et une poignée d’autres… Or considérer que les femmes n’ont eu accès à la pratique artistique que très récemment est une erreur de jugement historique, qu’il semble encore bien difficile de dissiper. Selon Camille Morineau, directrice artistique de la Monnaie de Paris et fondatrice de l’association Awareplateforme de ressources sur les femmes artistes, «la pulsion artistique existe autant chez les hommes que chez les femmes. Il y a toujours eu des femmes artistes, mais on a tout simplement ignoré leur travail et l’histoire les a oubliées».

Peinture de fleurs et broderies

Exclues des commandes importantes et des expositions à forte visibilité, elles étaient encouragées jusque dans les années 50 à s’exprimer dans des genres dits mineurs, comme la peinture de fleurs ou les portraits d’enfants, et elles n’eurent accès à l’enseignement artistique que très tard : en France, l’Ecole des beaux-arts leur fut interdite jusqu’en 1897. Ce qui en obligea beaucoup à adopter des stratégies esthétiques différentes, liées à des pratiques féminines courantes à l’époque, telles la broderie ou le vêtement, mais qui ne leur permettaient pas de faire entrer leurs œuvres au musée ou de rivaliser frontalement sur la scène artistique avec les hommes. Une situation que l’on retrouve notamment au sein du Bauhaus : Anni Albers, par exemple, fut incitée à s’orienter vers le tissage plutôt que la peinture ou l’architecture - les femmes, selon Walter Gropius, fondateur de l’école, ne sachant penser qu’en deux dimensions…

En France, la base de données Joconde, qui répertorie les œuvres des musées présents dans l’Hexagone, permet de comptabiliser dans les collections du Louvre - dont le spectre s’étend de l’Antiquité au milieu du XIXe siècle - 42 peintures exécutées par 28 femmes, sur un total de 5 387 œuvres. Soit 0,78 % du corpus. Un chiffre qui illustre l’écrasante surreprésentation masculine dans les musées, mais aussi la durable «invisibilisation» des œuvres créées par des femmes dans les collections.

Domination masculine, enfants et vie de famille de rigueur, discriminations culturelles à l’égard des femmes… Malgré de multiples entraves, des artistes ont réussi à produire dans le silence une œuvre qui sera finalement reconnue sur le tard, voire après leur mort.

Carmen Herrera, un siècle minimaliste

Le regard vif, un sourire doux-amer aux lèvres et un gros rouleau de peinture à la main, Carmen Herrera raconte son expérience de femme artiste dans les années 50 à New York. «Je suis allée voir une galeriste, je lui ai montré mes toiles abstraites. Elle m’a répondu : "Vous êtes meilleure que les artistes hommes que j’expose, mais je ne montrerai pas votre travail, car vous êtes une femme." Elle m’a dit cela, de femme à femme. Ça a été comme une gifle.» La séquence est issue du documentaire The 100 Years Showd’Alison Klayman, diffusé sur Netflix depuis 2016. On y voit l’artiste américaine d’origine cubaine, à la veille de son centième anniversaire, préparer la première rétrospective de sa carrière au Whitney Museum de New York, en même temps qu’une exposition à la prestigieuse Lisson Gallery. Entourée d’une nuée d’assistants qui l’aident à réaliser ses grandes toiles aux aplats de couleurs vives, Carmen Herrera raconte sans aigreur ni frustration, et avec une liberté de parole déconcertante, sa carrière de peintre minimaliste.

Un travail mené dans l’ombre, à côté d’une vie simple, de ses études à l’Art Student League de New York dans les années 40 à cette soudaine éruption de célébrité qu’elle doit à Frederico Sève, qui l’exposa en 2004 dans sa Latin Collector Gallery de Manhattan auprès d’autres artistes femmes de l’abstraction géométrique. Inconnues il y a quinze ans, les toiles de Carmen Herrera font aujourd’hui partie des collections du MoMA, du Hirshhorn Museum de Washington et de la Tate Modern à Londres.

Hessie, une trame tue

Agée de 81 ans, Hessie (de son vrai nom Carmen Lydia Djuric) réalise depuis le début des années 70 des pièces textiles au subtil tracé minimal, qu’elle agrémente, dans une poésie de la ténacité, de broderies sérielles et d’objets trouvés. Epouse du peintre Dado, qu’elle a rencontré au début des années 60 à New York, elle fut mannequin puis mère de cinq enfants, tout en poursuivant patiemment, malgré le silence qui l’entourait, ce qu’elle nomma un art de «survivre par delà la démission» - sa première exposition personnelle, organisée par Suzanne Pagé en 1975 au musée d’Art moderne de la Ville de Paris, avait pour titre «Survival Art». Par la suite, entre la fin des années 70 et 2009, elle disparaît quasiment des radars. Présentée en 2009-2010 dans l’accrochage «Elles@centrepompidou», puis en 2015 à la Fiac sur le stand de la galerie Arnaud Lefebvre, qui veilla à la restauration de nombreuses pièces, Hessie connaîtra sa première exposition d’envergure dans une institution française à l’automne aux Abattoirs de Toulouse, après un premier rappel l’an passé à la Verrière (Fondation Hermès), à Bruxelles. Un emblème de ce que l’historienne et critique d’art Elisabeth Lebovici, qui a recueilli de nombreux témoignages de femmes artistes de la génération d’après-guerre, nomme «le vrai empowerment». «Ces artistes ont vécu la vie qu’elles voulaient, affirme-t-elle. Elles ont continué à produire de la pensée, l’art étant pour elles une activité comme une autre. Elles ont trouvé dans la marginalité la liberté et la possibilité de parler en leur nom, et dans le travail un mode de faire désintéressé.»

Paula Modersohn-Becker, la création sous condition

Plus lointaines, et plus difficiles à repérer, surgissent du passé des individualités exemplaires. Ce fut le cas en 2016 de l’Allemande Paula Modersohn-Becker (1876-1907), dont l’exposition au musée d’Art moderne de la Ville de Paris a connu un succès phénoménal, porté simultanément par la publication du roman Etre ici est une splendeur, de Marie Darrieussecq (P.O.L) et la sortie d’un film assez mièvre de Christian Schwochow, Paula. La vie de la peintre expressionniste, ignorée en France mais bien connue outre-Rhin où sa correspondance, publiée dès les années 20, est un best-seller, y était décrite selon le storytelling désormais bien rodé de la vie de femme artiste, et dont le Camille Claudel de Bruno Nuytten, en 1988, reste le modèle indépassable. Ecrasée par la condition propre à son genre, elle subit l’influence d’un mâle dominant (son mari, Otto Modersohn), sa vie est une torture dans laquelle l’art lui sert à extérioriser son instinct créateur. Ses amours sont compliquées (voir sa relation ambiguë avec Rainer Maria Rilke) et sa fin est tragique (Paula Modersohn-Becker mourra des suites d’un accouchement à l’âge de 31 ans). Une incursion dans l’intimité de l’artiste qui ferait presque oublier l’intérêt puissant de son œuvre de peintre, principalement de portraitiste, animée d’une tendre et directe brutalité.

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