Le féministe Poulain de la barre []
Ancien prêtre, François Poulain de la Barre publia à partir de 1673 des thèses radicales sur l’égalité des Sexes
«Il n’y a rien de plus délicat que de s’expliquer sur les Femmes. Quand un homme parle à leur avantage, l’on imagine aussitôt que c’est par galanterie ou par amour.» L’homme qui «parle à leur avantage» est un ancien prêtre. «Magister artium» à la Sorbonne et «bachelier» en théologie, il a été affecté à une petite cure du diocèse de Laon. Mais, découvrant la philosophie de Descartes, il soumet bientôt la foi catholique à la raison, se convertit au protestantisme, puis, fuyant l’ire de l’Eglise, se réfugie en Suisse, et enseigne au Collège de Genève. C’est en 1673 que, sans signature, il publie chez Jean Du Puis, à Lyon, De l’égalité des deux sexes, discours physique et moral où l’on voit l’importance de se défaire des préjugés. Il craint à juste titre que son propos ne soit pris pour flatterie envers la gente féminine, car, tel quel - véritable traité de philogynie - il est irrecevable : qui pourrait entendre, au XVIIe siècle, que l’inégalité entre les hommes et les femmes n’a rien de naturel mais est toute culturelle, qu’elle relève du préjugé le plus profondément enraciné, chez «ceux qui ont de l’étude et ceux qui n’en ont pas», chez «les Femmes même» ? De fait, personne ne prêtera oreille à ses thèses - sauf, plus tard, quelques hérauts de la Révolution française, qui ne sauront d’ailleurs que rarement les lui attribuer. Certes De l’égalité entre les deux sexes est rapidement traduit en Angleterre, puis en Hollande, on le trouve dans certaines bibliothèques italiennes ou allemandes, mais il ne suscite aucun écho, n’ébrèche en rien les discours moraux, médicaux, théologiques, juridiques qui posent la femme inférieure, trop «animale» ou trop sentimentale, incapable d’atteindre les sphères de la spéculation, captatrice, tentatrice, potentiellement dangereuse.
François Poullain de La Barre, né en 1647 à Paris et mort en 1725 à Genève, est un écrivain, philosophe cartésien et féministe français.
D’abord étudiant en théologie, François Poullain de la Barre adopte la philosophie de Descartes. Il devient prêtre dans la région de Champagneavant de se convertir au protestantisme en 1688. Après la révocation de l’Édit de Nantes, en 1690, il s’exile à Genève où il enseigne. Il est reçu habitant en 1688, puis bourgeois en 1716 de la République de Genève.
Convaincu de l’injustice faite aux femmes et par l’inégalité de la condition féminine, il applique les principes cartésiens à la question des femmes et rédige de nombreux textes de philosophie socialequi dénoncent les préjugés sexistes envers les femmes au xviie siècle, préjugés qui soutiennent les discriminations dont elles font alors l’objet. Ces textes font de lui l’un des champions de l’égalité sociale entre femmes et hommes et le précurseur des théories féministes.
En 1673, il fait paraître anonymement De l’égalité des deux sexes, discours physique et moral où l’on voit l’importance de se défaire des préjugez où il démontre que l’inégalité de traitement que subissent les femmes n’a pas de fondement naturel, mais procède d’un préjugé culturel. Il préconise que les femmes reçoivent une véritable éducation mais aussi de leur ouvrir toutes les carrières, y compris les carrières scientifiques.
Le terme de «préjugé» est connu depuis le xvie siècle, François Poulain de la Barre est le premier à mettre en parallèle «préjugé» et «sexe».
Dans un autre ouvrage, toujours anonyme, De l’éducation des dames pour la conduite de l’esprit dans les sciences et dans les mœurs, Poullain de La Barre poursuit sa réflexion sur l’éducation des femmes, puis, quelques années plus tard, il défend avec ironie le point de vue sexiste répandu à son époque dans son ouvrage De l’excellence des hommes contre l’égalité des sexes par lequel il espère atteindre un plus grand nombre de personnes en ridiculisant les arguments patriarcaux.
Bayle a avancé l’hypothèse que Poullain aurait réfuté sa propre thèse parce qu’il se sentait menacé, mais les arguments antiféministes poussés jusqu’à l’absurde incitent au doute en ce qui concerne la sincérité de cette « réfutation ». Aussi, la place de Poullain de La Barre dans l’histoire du féminisme varie-t-elle considérablement d’un auteur à l’autre.
On doit à Poullain de La Barre la célèbre maxime L’esprit n’a pas de sexe. Simone de Beauvoir le cite en épigraphe au Deuxième Sexe en 1949 : « Tout ce qui a été écrit par les hommes sur les femmes doit être suspect, car ils sont à la fois juge et partie. »
- De l’Égalité des deux sexes, discours physique et moral où l’on voit l’importance de se défaire des préjugés, Paris, Chez Jean du Puis, 1673 ; rééd. Fayard, 1984 [édition de 1676]
- De l’Éducation des dames pour la conduite de l’esprit dans les sciences et dans les mœurs, entretiens, Paris, Chez Jean du Puis, 1674 ; Université de Toulouse Le Mirail, Toulouse, 1980, 1985.
- De l’Excellence des hommes contre l’égalité des sexes, Paris, J. Du Puis, 1675.
- La Doctrine des protestans sur la liberté de lire l’Ecriture sainte, le service divin en langue entenduë, l’invocation des saints, le sacrement de l’Eucharistie, Genève, 1720.
- (en) Three Cartesian Feminist Treaties, Chicago, University of Chicago press, 2002.
- De l'égalité des deux sexes; De l'éducation des dames; De l'excellence des hommes, éd. critique complète par M-F. Pellegrin, Paris, Vrin, 2011.
uvres en ligne
- De l’Éducation des dames pour la conduite de l’esprit dans les sciences et dans les mœurs, Paris, J. Du Puis, 1674
- De l’Égalité des deux sexes, discours physique et moral où l’on voit l’importance de se défaire des préjugés, seconde édition, Paris, 1679 (transcription annotée et avec modernisation de l'orthographe)
- De l’Excellence des hommes contre l’égalité des sexes Paris, J. Du Puis, 1675
Bibliographie
- Madeleine Alcover, Poullain de la Barre : une aventure philosophique, Paris ; Seattle, Papers on French seventeenth century literature, 1981.
- Elsa Dorlin, L’Évidence de l’égalité des sexes. Une philosophie oubliée du xviie siècle, Paris L’Harmattan, 2001 (ISBN 978-2-7475-0016-6).
- Christine Fauré, « Poullain de la Barre, sociologue et libre penseur », Corpus no 1, 1985 p. 43-51.
- Geneviève Fraisse, « Poullain de la Barre, ou le procès des préjugés », Corpus no 1, 1985 p. 27-41.
- Marie-Frédérique Pellegrin (dir.), François Poulain de la Barre : égalité, radicalité, modernité, ouvrage collectif, Paris, Vrin, 2017.
« Introduction » (M.-F. Pellegrin) ; « Un logicien de l'égalité, temps du préjugé et sexe de l'esprit » (G. Fraisse) ; « François Poulain de la Barre and the Making of the Enlightenment » (S. Stuurman) ; « Poulain’s Epistemology and Theory of Explanation » (D.Clarke) ; « ‘Examinez tout, jugez de tout, raisonnez sur tout’. Une éducation sans les lires ? » (M. Rosellini) ; « Poulain de la Barre : droits naturels et coutume. Un jusnaturaliste radical » (G. Conti Odorisio) ; « Poulain de la Barre – un linguiste oublié (M. Malinowska) » ; « Female Rights Vindicated (1758), nouvelle traduction de l’Égalité des deux sexes (1673) de Poulain de la Barre » (G. Leduc) ; « Postface : Le geste de Poulain de la Barre » (T. Hoquet).
- Marie-Frédérique Pellegrin, « Les critères de la radicalité en question : le cas Poulain de la Barre », Revue de synthèse, tome 136, n°3-4, 2015.
- Marie-Frédérique Pellegrin, « La science parfaite. Savants et savantes chez Poulain de la Barre. », Revue philosophique de la France et de l'étranger, n°3, 2013.
- Marie-Frédérique Pellegrin, « Un philosophe peut-il défendre les femmes : François Poulain de la Barre (1647-1723) ? », in F. Rochefort, É. Viénnot (dir.), L’Engagement des hommes en faveur des femmes, Publications de l’université de Saint-Etienne, 2013.
- Marie-Frédérique Pellegrin, « Égalité ou supériorité : les ambiguïtés du discours égalitaire chez Poulain de la Barre », in Revisiter la « querelle des femmes ». Discours sur l’égalité/inégalité des sexes, de 1600 à 1750, « L’école du genre », Publications de l’université de Saint-Etienne, 2013.
- (en) Siep Stuurman, « Social Cartesianism : François Poulain de la Barre and the origins of the enlightenment », Journal of the history of ideas, 1997, vol. 58, no 4, p. 617-640.
- (en) Siep Stuurman, François Poulain de la Barre and the Invention of Modern Equality, Cambridge (Mass.), Harvard University Press, 2004 .
Traduction -
HISTOIRE DU FÉMINISME: les trois vagues
BIBLIOGRAPHIE POUR ORDRE D'APPARENCE - Olympe de Gouges, Déclaration des droits de la femme et du citoyen (1791) - Mary Wollstonecraft, Défense des droits de la femme (1792) - Poullain de la Barre, De l'égalité des sexes ( 1790) -Emmeline Pankhurst. Bien que je ne l’aie pas nommée, vous pouvez lire My Own Story (1914), qui est une autobiographie.
Tout ce qui a été écrit par les hommes sur les femmes doit être suspect, car ils sont à la fois juge et partie.