Un architecte peintre, peu connu, surréaliste []{}[]
En exposition en ce moment à Paris et ce qu’il faut savoir sur lui .
Jean-Jacques Lequeu, né le 14 septembre 1757 à Rouen et mort le 28 mars 1826 à Paris, est un architecte.
La vie de Jean-Jacques Lequeu est bien connue depuis les enquêtes archivistiques complètes réalisées d'abord par Elisa Boeri, dans le cadre de sa thèse de doctorat, puis à l'occasion de l'exposition consacrée à l'architecte en 2018-2019 au Petit Palais. Fils d'un maître menuisier, il a travaillé dans sa ville natale avec l’architecte Le Brument. Il fut formé au dessin, art dans lequel il excellait, par Jean-Baptiste Descamps. Il a ensuite reçu deux prix de l’Académie de Rouen en 1776 et 1778, puis une bourse qui lui permet de partir pour Paris. Il se dit « architecte de l’Académie des sciences, belles-lettres et arts de Rouen».
Une première carrière parisienne avant la Révolution
En 1779, Jean-Jacques Lequeu arrive à Paris où il rejoint le bureau des bâtiments de l’église Sainte-Geneviève, c'est-à-dire l’agence de Jacques-Germain Soufflot. Il est alors admis comme élève à l'Académie royale d'architecture. Mais le décès de Soufflot l'année suivante le prive d'une puissante protection et complique ses perspectives d'avenir. Il ne poursuit pas ses études et continue alors sa carrière au service de François Soufflot le Romain, le neveu de Soufflot. Pour lui, il exécute en particulier la plupart des esquisses du futur hôtel de Montholon (1785) en s'inspirant de Samson-Nicolas Lenoir. Vers cette même époque, il commence à composer une suite de planches intitulée Dessin[s] qui représente[nt] avec des figures, par quelle[s] teintes, et comment on doit laver les plans, élévations et profils des corps opaques, qui deviendra son œuvre principale, L'Architecture civile. Il laisse d'autres manuscrits telle la Nouvelle méthode de dessin pour tracer la tête de l'homme au moyen de la géométrie descriptive. Il dessine aussi un pavillon chinois pour le secrétaire d’État Henri Bertin pour son domaine situé à Chatou.
Un visionnaire réduit à un modeste emploi de bureau.
La disparition de la commande aristocratique qu'entraîne la Révolution prive Lequeu de la carrière qu'il imaginait. D'abord recruté dans l'un des ateliers publics du faubourg Saint-Antoine, où il dessine notamment les gradins de la fête du Pacte fédératif de 1791, il accepte ensuite un emploi de dessinateur au bureau du Cadastre. En 1793, Lequeu sauve de la profanation la sépulture de son maître, Soufflot. C'est sous la Révolution qu'il produit ses étranges portraits, dont le plus connu est celui de la religieuse dévoilant ses seins et légendé ainsi : « Et nous aussi nous serons mères, car… ! »
En 1802, il travaille au bureau des bâtiments civils du ministère de l’Intérieur tout en continuant à produire pour lui-même quantité de dessins. En juillet 1825, il donne l’ensemble de ses dessins et manuscrits à la Bibliothèque royale : le fonds en a été quelque peu recomposé, la logique en a été bousculée par les conservateurs de l'époque.
Il est inhumé à Paris au cimetière du Père-Lachaise dans une concession à perpétuité non localisée.
L'historiographie de Lequeu a donné lieu à une réflexion approfondie. En effet, passée inaperçue de son vivant, l'œuvre de Lequeu ne s'accompagne d'aucune tradition critique qui contribuerait à la situer dans son époque, et ce n'est qu'au milieu du XXe siècle qu'il est redécouvert par l'historien viennois Emil Kaufmann, qui l'assimile à Boullée et Ledoux, dont il fait Trois architectes révolutionnaires. Depuis, Lequeu est souvent présenté comme un architecte « révolutionnaire », mais cette épithète doit être prise avec précaution, car si certains de ses dessins témoignent d'une sympathie pour les idées de la révolution, ses opinions semblent avoir évolué au gré des changements politiques. D'autre part si son œuvre se révèle puissamment originale elle n'a pas révolutionné l’architecture de son temp.
Il faut cependant attendre 1986 pour qu'une première monographie lui soit consacrée par l'architecte et historien de l'architecture Philippe Duboÿ. Ce travail pionnier prend le parti controversé de présenter son œuvre comme étant en partie le fruit d'une manipulation impliquant notamment Marcel Duchamp. Dès 1987, le théoricien et historien de l'architecture Joseph Rykwert, dans une recension du livre de Duboÿ, souligne le caractère très problématique de la démarche de ce dernier, consistant à entremêler les faits, les jeux de mots, les rapprochements incongrus et les conjectures les plus invérifiable. Selon Elisa Boeri, « les hypothèses selon lesquelles Duchamp aurait contribué à une éventuelle manipulation de legs de Lequeu à la Bibliothèque nationale apparaissent aujourd'hui comme chimériques », l'historien de l'art et critique d'art américain James Elkins estimant même qu'il s'agit d'une mystification délibérée.
L'équipe dont les travaux ont donné lieu à la présentation au Petit Palais à Paris de la première exposition monographique consacrée à Lequeu adopte une approche sensiblement différente en s'attachant au contraire à inscrire cet architecte artiste dans son époque et à comprendre sa singularité comme l'expression exacerbée d'une période marquée par de profonds contrastes et d'importants bouleversements sociaux, politiques et artistiques. Pour Marc Lambron, qui rend compte de l'exposition dans l'hebdomadaire Le Point, « Le visionnaire Lequeu paraît dessiner le chaînon manquant entre les vertiges de Piranèse et Les cités obscures de Schuiten et Peeters »[13]. Au cours du symposium organisé au Petit Palais au début de l'exposition, Marc Décimo a contesté l'hypothèse selon laquelle Lequeu serait un fou littéraire, soulignant plutôt la parenté de sa démarche avec des auteurs qui jouent sur la langue et le sens par jeu ou par provocation.
En 1825, la bibliothèque nationale, alors royale, reçoit 800 feuilles d’un certain Jean-Jacques Lequeu, dessinateur en architecture. Huit cent feuilles, qui mêlent planches d’architecture tout ce qu’il y a de plus classique, planches d’anatomie, et d’étranges mises en scènes érotiques, le tout accompagné de multiples documents personnels (lettres, notes).
Jean-Jacques Lequeu est né en Normandie en 1757. Fils d’un ébéniste ou d’un menuisier, il est formé à l’École gratuite de dessin de Rouen où il se révèle un élève prometteur. En 1779, encouragé par les professeurs de l’école, il gagne Paris et intègre, grâce à ses lettres de recommandation, l’atelier des architectes Julien-David Leroy et de François Soufflot dit le Romain, neveu de l’architecte de Sainte-Geneviève. Jean-Jacques Lequeu travaille quelque temps sur ce chantier en tant que dessinateur-inspecteur. L’essentiel de son travail consiste à mettre au propre les plans et élévations des bâtiments. Mais Lequeu, ambitieux, aspire à plus de responsabilités. Pourtant, malgré ses efforts, il ne parvient pas à se faire une place et vivote de petits emplois.
La Révolution précipite le monde de l’architecture dans le chaos. Comme beaucoup de ses confrères, Lequeu tente sa chance aux concours organisés durant la décennie 1790 pour des monuments à la Nation. Si jamais aucune de ses propositions n’est retenue, il participe à l’aménagement du Champ de Mars pour la fête de la Fédération en 1791. C’est là l’un de ses rares faits d’armes.
Il parvient à survivre grâce à divers emplois administratifs : en 1793, il intègre le bureau du Cadastre, puis, en 1801, il est nommé cartographe au bureau de l’Intérieur. L’année suivante il entre au bureau des bâtiments civils, où il demeure dessinateur jusqu’en 1815. Ne trouvant pas la reconnaissance de son travail, ne parvenant pas à percer comme architecte, persuadé d’être victime d’injustices et d’intrigues, Jean-Jacques Lequeu gardera un terrible ressentiment envers ses pairs. Cette haine pour les architectes contemporains transparaît dans les documents qu’il a légués à la bibliothèque.
À la fin de la décennie 1810, isolé et sans le sou, il est contraint de vendre ses dessins pour gagner de quoi vivre. Mais les ventes qu’il organise en 1817, 1822 et 1824 ne rencontrent aucun succès. Dépité, il les donne au cabinet de la Bibliothèque royale en 1825, quelques mois avant sa mort, qui survient le 28 mars 1826 au 33 rue Saint-Sauveur.
Son inventaire après décès, récemment découvert, nous dresse le portrait d’un homme complexe, extravagant et érudit, ce qui vient confirmer les documents conservés à la Bibliothèque nationale de France : vues d’architecture, projets de bâtiments de toute sorte, dessins anatomiques, études de machines se mêlent à de dérangeants portraits et à d’érotiques scènes.
Le fonds conservé à la Bibliothèque nationale de France garde la trace de deux grands projets qui ont occupé une partie de sa vie : la rédaction d’un traité d’architecture civile et la mise au point d’une méthode de dessin “parfaite” de la figure humaine. L’un comme l’autre restera inédit. Ces manuscrits trahissent un personnage cultivé, ce que confirme sa bibliothèque : Lequeu possédait 234 livres, essentiellement des ouvrages d’architecture, de sciences et d’arts appliqués.
Les dessins destinés à ces deux traités sont soignés, leurs traits sont nets et leurs lavis parfaitement posés. Ils sont cependant noyés sous une masse complexe d’annotations, qui prennent parfois la forme de claires légendes explicatives, mais qui se révèlent le plus souvent des constructions où se mêlent citations et références non sourcées, allusions biographiques, symboles pseudo-maçonniques.
Le traité d’architecture comme la méthode de dessin font écho aux préoccupations de son temps. En architecture, Lequeu propose de grands programmes d’édilité publique, monumentaux, à portée moralisatrice et reflétant un idéal sublime. C’est ce qui a valu à Lequeu d’entrer, aux cotés de Boullée et de Ledoux dans le cercle des « architectes de la Liberté ».
- Quant à son traité sur le dessin de la tête de l’homme, il vise à établir une méthode permettant de tracer la figure parfaite. Pour cela, Lequeu s’appuie sur la physiognomonie et la géométrie appliquée, alors très en vogue. Là encore, il fait montre d’une culture étendue et cite Léonard, Poussin, Rubens, Winckelmann, De Piles, Félibien… Mais sa méthode mathématique est poussée si loin qu’elle en devient absurde.
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Dans plusieurs dessins, Lequeu se représente grimaçant, comme un écho aux « têtes de caractères » de Messerschmitt, mort en 1783. Le voici avec un chapeau rond, baillant. Ailleurs, il porte un bonnet miteux, marqué d’un numéro, comme dans les hôpitaux. Le voilà nous faisant face et tirant la langue. Est-ce au spectacteur qu’il tire la langue ou bien à lui même, face au miroir ? Ces dessins ne seraient-ils pas manière de questionner sa propre physionomie à un moment où, malade, il voit son identité sociale vaciller ? Dans d’autres dessins, Lequeu figure en travesti, une habitude que vient confirmer son inventaire après décès. Alors qu’il était célibataire et sans le sou, Lequeu possédait d’onéreux vêtements de femme, qu’il gardait sous clé. Quant aux figures érotiques, ont-elles été inspirées par les prostituées de la maison close où l’on dit qu’il aurait un temps élu domicile ?
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A qui s’adressaient ces dessins ? Lequeu les avait-il conçu pour son propre usage ? Comment imaginait-il qu’il serait reçus à la Bibliothèque nationale, quand il décida d’y déposer ses archives ?
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Autant de mystères qui demeurent entiers et ne manqueront pas de hanter ceux qui feuillent sur Gallica les étranges dessins de Jean-Jacques Lequeu, après près de deux siècles dans l’ombre de l’Enfer…
Jean-Jacques Lequeu signait ses compositions « J L Q », « J. J. Le Queu » ou « Jn-Jques Lequeu ».
À part deux folies aux environs de sa ville natale, aucun de ses projets n'a été construit. Tout le reste de son œuvre architectural consiste dans des dessins de bâtiments imaginaires, parfois fantastiques, enrichis de symboles et accompagnés de commentaires et de textes narratifs. La plupart de ces projets imaginaires sont regroupés dans un recueil de planches numérotées et de mêmes formats: l'Architecture civile.
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- Elisa Boeri, Architettura, teoria e rappresentazione negli anni della Rivoluzione Francese. L'Architecture civile di Jean Jacques Lequeu (1757-1826) alla bibliothèque nationale de France, doctorat de l'Université de Venise et de l'Université de Paris 1 Panthéon-Sorbonne, sous la direction de Federico Bucci et Jean-Philippe Garric, 2016 ; Corinne Le Bitouzé, Martial Guédron et Joëlle Raineau, "Jean-Jacques Lequeu (1757-1826), orientation biographique" dans Laurent Baridon, Jean-Philippe Garric, Martial Guédron, Jean-Jacques Lequeu. Bâtisseur de fantasmes, Paris, BnF/Norma, 2018, p.153-172
- Autoportrait de 1786, sur Gallica.
- Christopher Drew Armstrong, « Lequeu, Jean-Jacques », in Encyclopædia Universalis, T. III, Thesaurus.
- Jean Jacques Lequeu, Lettre de Jean Jacques Lequeu à son excellence le ministre de l'intérieur, BnF, Ha-80 (a,1).
- Werner Szambien, « L'inventaire après décès de Jean-Jacques Lequeu », Revue de l'Art, vol. 90, no 90, , p. 104-107 (lire en ligne).
- Laurent Baridon, Jean-Philippe Garric et Martial Guédron, « Anachronisme et interprétation : l’historiographie de Jean Jacques Lequeu », Perspective [En ligne], 1 | 2018, mis en ligne le 31 décembre 2018, consulté le 29 décembre 2018. URL : http://journals.openedition.org/perspective/9493
- Emil Kaufmann, Von Ledoux bis Le Corbusier. Ursprung und Entwicklung der autonomen Architektur, Vienne, Rolf Passer,
- Emil Kaufman, « Three Revolutionary Architects, Boullee, Ledoux, And Lequeu », Transactions of The American Philosophical Society Held At Philadelphia For Promoting Useful Knowledge, New Series, Volume 42, Part 3, 1952 [lire en ligne]
- Joseph Rykwert, « Pinnacolà di assurdità : Lequeu-Duchamp-Duboy », Casabella, tome li, n° 535, mai 1987, p. 36-37
- Elisa Boerri, Jean-Jacques Lequeu : un atlas des mémoires, Éditions des Cendres, , p. 16.
- James Elkins, Why Are Our Pictures Puzzles? On the Modern Origins of Pictorial Complexity, Londres, Routeledge, 2004, p. 67 et p. 198.
- Laurent Baridon, Jean-Philippe Garric, Martial Guédron, Jean-Jacques Lequeu, bâtisseur de fantasmes, Norma-BnF, .
- Marc Lambron, « Femmes shinx et bacchantes en folie », Le Point, n° 2416-2417, 20 et 27 décembre 2018, p. 98-99.
- Voisinages de Lequeu, Petit Palais, 19 décembre 2018.